chronique littéraire sur le livre "Morts" de Philippe Tessier

La quête des morts

Si la vie était limitée dans le temps, d’après ce qu’il savait, la mort ne l’était pas.

Philippe TESSIER.

Aujourd’hui, petit focus littéraire sur un livre OVNI à lire au moins une fois dans sa vie. Un roman mortel délirant et sérieux à la fois : Morts est une étonnante aventure pleine de rebondissements et de questionnements. Un parcours hors des sentiers battus aux réflexions parfois grinçantes sur notre société.

Morts de Philippe Tessier – SOMMAIRE

Au delà des préjugés

Vous vous souvenez de mon dernier billet dans lequel je précisais que je ne parlais pas de livres dans le cadre de partenariats ? Eh bien c’est toujours vrai même si aujourd’hui je vais faire une exception à la règle.
Tout début novembre, un concours flash a été organisé par les éditions Leha spécialisées dans l’imaginaire et j’ai eu la chance de gagner le livre Morts de Philippe Tessier. Il est donc normal que je fasse ici un retour de lecture.

À la base, Morts n’est pas le type de livre que j’aurais choisi, étant plus habituée aux romances d’urban fantasy qu’aux récits satiriques fantastiques. Quand j’ai lu son résumé, j’ai été un peu craintive : le texte semblait être à mi-chemin entre une histoire délirante genre Alice sous acide aux pays des merveilles et un traité philosophique. Chose pour laquelle je ne suis absolument pas bon public.
Je n’ai qu’un vague souvenir d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (lecture scolaire obligatoire) mais je sais que je n’ai pas du tout accroché à l’époque. Et récemment j’ai été très déçue par Sans nouvelles de Gurb d’Eduardo Mendoza qu’on m’avait recommandé comme étant du Feel Good (rire jaune).
D’autre part, les récits abracadabrants pendant lesquels l’auteur nous tient en haleine sur des centaines de pages, pour finalement indiquer que ce n’était qu’un rêve, me laissent sur ma faim. Je n’adhère pas au concept de s’en sortir avec une telle pirouette. C’est un peu facile comme prise de position.

Je me suis toutefois dit que ce serait dommage de rester sur un a priori et la couverture était trop intrigante pour que je résiste à participer au concours organisé par Leha. Bien m’en a pris puisque ce fut une très belle découverte avec une fin qui ne m’a pas déçue.

Une couverture mortelle

Avant tout, arrêtons-nous deux minutes sur la couverture du livre. Elle annonce clairement la couleur (ou plutôt l’absence de couleur). Il s’agit du noir et blanc d’un autre monde, celui de l’au-delà. Et en premier plan, telle une starlette, se tient la Mort. Un squelette qui s’amuse au golf, sa faux dans son chariot de golf. La grande faucheuse semble en vacances. La Toute Puissante s’amuse affichant sa dent en or et son cigare. Le ton est donné : nous avons là un récit résolument moderne qui parle du trépas.

Ne sachant pas trop à quoi m’attendre quand même, et le texte imprimé étant assez petit, il m’a fallu les trois premières pages pour rentrer dans l’histoire. Puis j’ai été saisie par la curiosité de voir où ça allait me mener. J’ai été amusée par la façon de traiter l’affaire et au final c’est une lecture que j’ai beaucoup aimé.

Autopsie d’un récit atypique

Bon, concrètement, c’est quoi l’histoire ?

Joseph se réveille alors qu’il est mort. Il est décédé d’une crise cardiaque, ça il en est sûr. Mais pourquoi peut-il penser ? Il ne peut ni bouger ni parler cependant il voit. Joseph est mort mais n’est plus certain de l’être vraiment. Viennent alors d’étonnants squelettes qui le transportent jusqu’à d’autres tas d’os, érudits ceux-là. Ils lui annoncent qu’en tant que mort-vivant si bien conservé par son embaumement, il a un rôle à jouer. Et tandis que le trépassé coopère avec ses nouveaux compagnons, sa conscience se débat avec ses organes pour statuer sur son état. N’est-il plus qu’un cadavre ou a-t-il encore une petite parcelle de vie en lui ? Joseph va de découverte en découverte jusqu’à rencontrer la Mort, la vraie, qui a elle aussi une mission pour lui.

Je n’en dirai pas plus sous peine de vous spoiler mais retenez que c’est l’histoire d’une quête pour Joseph et tous ses compagnons d’outre-tombe. Les morts se sont relevés et l’Apocalypse tant annoncée n’a jamais été aussi proche.
Et derrière cette quête se cache un autre objectif : dépeindre notre société actuelle de manière satirique avec tout ce qu’on peut y trouver de bon ou de mauvais.

Mascarade mortuaire

L’originalité du récit réside avant tout dans le fait que nous rencontrons des personnes célèbres décédées. Joseph a la chance d’approcher les érudits et de faire partie des décisionnaires identifiés par leur prénom et l’initiale de leur nom de famille. On se prend alors au jeu et on s’amuse à essayer de deviner les macchabées que l’on va croiser. On savoure chaque indice et imagine l’auteur placer ses personnages historiques préférés (ou ceux qu’il aimerait rencontrer dans l’au-delà peut-être).

C’est un récit plein d’humour et bourré de références. Des personnages historiques aux figures légendaires en passant par les œuvres cinématographiques, il y a énormément de clin d’œil. Pour les fans de Walking Dead, on croise même la route de Rick de façon fugace !

Mon seul regret (tout à fait personnel) est de ne pas avoir rencontré Victor H., George S., Elvis P. ou encore Louise M. 😉

Pensées posthumes

Se placer du point de vue des défunts permet à l’auteur de remettre en cause ce qui a été. La situation sert des dialogues percutants qui analysent notre société actuelle et ses dérives. Tout y passe en se faisant égratigner au passage : les journalistes, la politique, la téléréalité, les réseaux sociaux, le système de santé, la société de consommation…

Je vous laisse ici quelques extraits pour vous mettre dans l’ambiance :

  • « Il estimait que ces derniers avaient trahi ceux qu’ils étaient censés informer et qu’en se transformant peu à peu en prédateurs de l’information à tout prix, sous couvert de leur fameux les gens ont le droit de savoir, ils avaient soigneusement balayé leur déontologie sous le tapis de la médiocrité. »
  • « Il faisait partie des veinards décédés proprement et rapidement, il faisait partie de ceux qui n’avaient pas eu la malchance de tâter à la relativité du temps appliquée à la douleur, pour constater que la moindre seconde pouvait durer une éternité. »
  • « Les hommes politiques portaient bien évidemment une lourde responsabilité dans la débâcle de l’expression populaire. On avait l’impression que le concert des nations s’était mué en une vaste cour d’école maternelle, peuplée d’enfants trop gâtés et égoïstes se bâfrant de privilèges au détriment de l’intérêt commun. »
  • « C’était bien simple, à chaque fois que les autorités prétendument compétentes recommandaient quelque chose, quelques années plus tard, ces mêmes autorités affirmaient avec force que c’était finalement nocif. »
  • « Ce qui était extraordinaire avec internet, c’était que tout le monde pouvait s’y présenter comme une sommité dans n’importe quel domaine. »
  • « Il avait donc affaire à une victime du SMS, le Syndrome de Maltraitance de la Syntaxe. »
  • « C’est certain que contrairement à des bipèdes que je ne nommerai pas, elles ne se sont pas contentées d’attendre la catastrophe en se disant que ça retomberait sur la tête des futures générations. Les fourmis ne pratiquent pas la politique de la patate chaude. Il y a un problème, elles le règlent. »

Désolation et regret

Attention spoil ! Sautez ce paragraphe si votre petit cœur est fragile, une critique négative va suivre (il en fallait bien une).
Dans un souci d’honnêteté, je ne peux passer sous silence qu’un élément m’a laissé perplexe tout au long du récit : la place de la femme.

Les seules figures féminines évoquées sont plus de l’ordre de la caricature que d’éléments importants pour faire avancer la quête. Une en particulier, tête de file des féministes de son vivant et journaliste de profession, génère de désagréables frissons aux membres qu’elle rencontre. En outre, elle sème le trouble en réclamant que les individus féminins (ceux aux hanches plus larges) soient décisionnaires à leur tour. Nous avons aussi droit à une apparition éclair d’Anne Bonny nommée aux côtés de deux confrères marins mais sans que son personnage ne soit exploité.
Si nous sommes dans une satire de la société, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et donner la parole à toutes les grandes femmes oubliées de l’Histoire ? Vous savez, celles que l’on invisibilise toujours autant ?
Quant à Marie Curie présente depuis le début du récit, elle ne quitte pas son laboratoire. L’explication concernant son extrême discrétion vient plus tard, tout comme elle a le mot de la fin sur l’absence de présence féminine dans cette aventure.

Il s’agit donc d’un parti pris. La femme de nature est trop sérieuse pour se mettre en avant, elle œuvre dans l’ombre et finalement la Vie, la vraie, c’est elle qui la détient. Elle la donne en accouchant. L’auteur voudrait-il nous dire par là que ce livre est une ode à la féminité ? Que le féminisme ne se situe pas dans des luttes bruyantes puisque de toute manière notre corps est le seul à pouvoir enfanter et que notre pouvoir réside dans ce point-là ?
Je dois avouer que j’ai un peu de mal avec cette vision. Cela me laisse sur les dents. Mais peut-être est-ce mon chromosome X supplémentaire qui crée des interférences et interprète à sa manière ? Ou peut-être (on a le droit de rêver) l’auteur nous concocte t-il un second tome tout aussi savoureux intitulé cette fois Mortes ?

Le mot de la fin

En conclusion, le livre de Philippe Tessier vaut le détour. Il est très représentatif de son temps et nous interroge sur plusieurs thèmes importants.
Il est inutile d’être hyper calé en Histoire pour suivre le parcours de Joseph. Les plus connus se reconnaissent, les autres sont juste du bonus que vous pouvez démasquer avec votre ami Google. Ce qui importe, c’est que l’on passe un bon moment entouré de cette armée de squelettes tous unis dans une même quête désintéressée.

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